Morella
Ce que j’éprouvais relativement à mon amie Morella était une profonde mais très-singulière affection. Ayant fait sa connaissance par hasard, il y a nombre d’années, mon âme, dès notre première rencontre, brûla de feux qu’elle n’avait jamais connus ; – mais ces feux n’étaient point ceux d’Éros et ce fut pour mon esprit un amer tourment que la conviction croissante que je ne pourrais jamais définir leur caractère insolite, ni régulariser leur intensité errante. Cependant, nous nous convînmes, et la destinée nous fit nous unir à l’autel. Jamais je ne parlai de passion, jamais je ne songeai à l’amour. Néanmoins, elle fuyait la société, et, s’attachant à moi seul, elle me rendit heureux. Être étonné, c’est un bonheur ; – et rêver, n’est-ce pas un bonheur aussi ?
L’érudition de Morella était profonde. Comme j’espère le montrer, ses talents n’étaient pas d’un ordre secondaire ; la puissance de son esprit était gigantesque. Je le sentis, et dans mainte occasion, je devins son écolier. Toutefois, je m’aperçus bientôt que Morella, en raison de son éducation faite à Presbourg, étalait devant moi bon nombre de ces écrits mystiques qui sont généralement considérés comme l’écume de la première littérature allemande. Ces livres, pour des raisons que je ne pouvais concevoir, faisaient son étude constante et favorite ; – et si avec le temps ils devinrent aussi la mienne, il ne faut attribuer cela qu’à la simple mais très-efficace influence de l’habitude et de l’exemple.[...]
Edgar Allan Poe - Эдгар Аллан По - إدغار آلان بو